A la base, c’est un tas de vieilleries dont personne ne veut plus. Résumé Commençons par le début, en juillet 2013, Clara Beaudoux, emménage dans son nouvel appartement. Elle a la bonne surprise de découvrir qu’en plus de l’appartement, elle dispose d’une cave. Le propriétaire n’ayant pas la clé, il lui conseille de scier le cadenas. Ce qu’elle fait. Lorsqu’elle se rend à la cave n°16, Clara n’imagine pas ce qui se cache derrière la porte : une cave encore pleine des affaires de l’ancienne locataire qui a vécu vingt ans dans l’appartement que Clara occupe aujourd’hui. Le propriétaire indique que cette dame n’avait pas de descendants et que l’unique personne qu’on lui connait est son filleul. La jeune femme prend contact avec lui. Au téléphone, il explique qu’il avait chargé une entreprise de vider l’appartement, mais que celle-ci a dû oublier la cave. Il ne souhaite pas récupérer les affaires de sa marraine et laisse Clara décider de ce qu’elle veut en faire. Au commencement, c’est une histoire banale. Des affaires oubliées, d’une personne qui semble elle-même oubliée. Une cave qui regorge de traces de vie, de souvenirs, de photos… De petits objets qui prennent sens avec le récit qui leur est lié. Il est légitime de se demander : quel est le destin pour ce genre d’objets ? Quel sens y a-t-il encore, quand personne n’est là pour raconter la petite histoire que la photo reflète ? Sont-elles uniquement destinées à laisser transparaitre la mélancolie d’une vie passée, d’une histoire qui s’arrête ? Quel sens ont-ils dans les mains d’une inconnue qui accepte de s’en « occuper » ? Une inconnue qui aurait pu simplement les jeter et ainsi faire de la place afin d’entreposer ses propres affaires. Après tout, le temps était passé. Mais elle ne fait rien de cela. Pendant plus de deux ans, cette cave reste telle quelle, comme plongée dans une léthargie ou un sommeil profond digne de la Belle au Bois Dormant. Quand le temps lui permet enfin, Clara décide de réaliser l’inventaire du contenu de la cave et de le raconter en direct sur Twitter. Elle témoigne elle-même n’y avoir pas trop réfléchi : « J’avais l’impression que je démarrais un petit truc dans ma cave et que ça resterait un petit truc dans mon coin. Même si je le faisais de manière publique sur twitter. Je ne m’attendais vraiment pas à ce qu’il y ait cet engouement. » 1 Ce projet prend la forme d’un twitter documentaire, qui permet d’interagir en temps réel avec d’autres personnes. Nous reviendrons plus tard sur cette forme et sa justification. Avant d’aborder les différentes finalités du projet, son impact et les échanges qui en ont découlé, nous nous attarderons sur la relation qui s’est tissée entre ces deux personnes, dont l’une ne pouvait connaitre l’existence de l’autre. Rencontre / imagination Nous pourrions parler d’une rencontre : au fur et à mesure des fouilles dans cette cave, Clara découvre l’ancienne locataire. Elle tente de savoir qui était Madeleine. Elle essaie de brosser le portrait d’une femme dont elle n’aurait rien dû connaitre, si ce n’est son prénom, à travers la publicité d’une mutuelle, pas encore au fait des changements, dans sa boite aux lettres. Peu à peu, elle se plonge dans ces affaires. Elle découvre les objets qui restent. Des petits objets qui racontent des histoires à notre esprit : une dent de lait montée sur un pendentif rangé dans un petit écrin en cuir ; des moules à gâteaux ; des cahiers d’écoliers… Mais aussi des lettres, des photos. Qui est Madeleine parmi tous ces visages figés sur le papier ? Petit à petit, Clara découvre cette personne : Elle s’appelait Madeleine ; Elle était institutrice ; Elle écrivait des lettres d’amour à un certain Loulou ; Elle n’a pas eu d’enfants ; Elle aimait voyager, un amour particulier pour la Hollande semble-t-il ; Elle devait être une femme organisée ; Elle conservait les numéros d’Historia ; Elle devait faire du patin à glace. Certaines de ces réflexions sont des suppositions, ce que Clara s’imagine. Car même si elle a l’impression de découvrir Madeleine, de la connaître de mieux en mieux, celle-ci restera toujours une image façonnée par Clara. Jamais elle ne pourra savoir qui était réellement Madeleine. C’est proche de l’idée de ressemblance dont Itzhak Goldberg parle dans Visage et Portrait, Visage ou Portrait : « En réalité, l’impossibilité ontologique de vérifier une ressemblance n’empêche pas le désir, qu’on sait irrationnel, de pouvoir « reconnaître » l’être représenté, même s’il s’agit d’une personne dont on ne puisse vérifier l’existence en confrontant son apparence à celle que propose le tableau. C’est cette visée, hypothétique et intuitive, de révélation de l’altérité, qui se produit, même en dehors de tout pouvoir de juger une ressemblance. » 2. Ce n’est pas la ressemblance physique qui intéresse seulement ici : c’est la ressemblance à l’image qui se dessine à l’esprit, l’image que l’on se fait d’une personne et l’impossibilité, dans le cas présent, de savoir ce qu’il en est réellement. N'aurait-on pas tendance à idéaliser ? Clara explique elle-même qu’elle ne sait pas comment elle aurait réagi si Madeleine avait été « méchante », si celle-ci ne se révélait pas être une bonne personne. Elle avoue qu’alors, ce projet n’aurait peut-être pas eu toutes les finalités qui se dévoileront par la suite. Mais cela n’est peut-être pas des plus importants, car ce que Clara crée, ce n’est pas le portrait incomplet de cette personne. C’est un nouveau portrait de cette personne, du point de vue de Clara, avec les traces laissées dans la cave, qui ne constituent qu’une partie des affaires de Madeleine. Et le fait que Clara ne pourra jamais vérifier la ressemblance exacte, ne lui laisse que plus de liberté pour une part d’imagination, qui est, pour elle, primordiale dans son projet. Par la suite, elle a constaté qu’elle n’aurait pas pu produire le même projet si la personne avait été un de ses grands-parents. Il y aurait eu non seulement la dimension affective mais également l’histoire qu’elle connaissait de sa famille. Alors qu’ici, elle part d’une feuille blanche. Et elle apprécie les zones d’ombres qui restent, le fait que tout ne puisse être découvert ou déterminé. Mais finalement « peut-être que je connais mieux Madeleine que mes grands-parents », vient à songer Clara. Car à partir de cet inventaire, c’est une rencontre qui s’organise et un attachement. Ces deux personnes, ces deux inconnues dont l’une a disparu, se retrouvent à entrelacer leur vie. Le passé de Madeleine surgit dans le présent de Clara et le présent de Clara vient bouleverser les souvenirs passés de Madeleine. La mémoire de Madeleine s’est mélangée à celle de Clara. Clara se surprend à penser à Madeleine : ce qu’elle aurait pensé, ce qu’elles partagent dans cet appartement, comment elle avait disposé« leur » appartement, si elles arpentaient les mêmes rues,…
Avec tout ça, moi je t'imagine de mieux en mieux, j'entends le frottement de tes chaussons sur le sol de mon appartement #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 9 février 2016
Quand je bois un thé sur ma table basse, quand je travaille à mon bureau, quand c'est le bordel chez moi, je pense à toi #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 9 février 2016
C’est pour cela que j’ai tendance à parler de cet exemple comme étant celui inattendu. Des hasards de la vie qui se mettent sur votre chemin. Mais il faut signaler que c’est aussi sa diffusion qui transforme cette rencontre en projet. Diffusion « Voilà plus de deux ans que je veux raconter cette histoire. Alors je vais tenter de le faire ici cette semaine. » Ce tweet posté le 2 nov. 2015 à 02:28 est le début du projet. Celui-ci n’avait pas l’ambition d’être une saga. Mais il donnera naissance à 5 saisons (qui peuvent être vues comme 5 étapes) et 3 livres. A la base, c’est l’envie de raconter cette exploration, que Clara projette depuis longtemps de mener dans sa cave, qui la pousse à écrire ces premiers mots. Elle souhaite raconter cette histoire par Twitter pour ainsi retracer en direct ses découvertes. En fin de compte, cet inventaire n’est pas produit en temps réel, faute de réseau dans la cave. Mais chaque jour de cette semaine-là, elle note son ressenti, prends des photos et les publie quand elle remonte dans son appartement. Ce hasard crée peut-être, il me semble, un récit entre ressentis instantanées et construction d’une narration. Ce récit, Clara l’entrevoit comme un documentaire. L’utilisation de Twitter lui permet en plus d’interagir et de poser des questions, sur des objets qu’elle ne connait pas par exemple. Cela lui donne aussi des pistes de recherches. Elle n’avait pas présumé du succès de cette interaction. Car de ce petit exercice auquel elle se prête dans sa cave nait un engouement inattendu. Très vite, elle reçoit beaucoup de messages. L’expérience qu’elle raconte renvoie des lecteurs à leur propre vécu : quand ils ont dû vider la cave de leurs grands-parents, le grenier de leur maman, ou simplement parce que leur grand-mère s’appelait Madeleine. L’expédition de Clara dans cette cave renvoie chacun à son propre vécu. De là, on peut entrevoir déjà une des forces de ce projet : la possibilité qu’ont les objets du passé de renvoyer à l’expérience de chacun. Une autre finalité que nous apercevrons par la suite, c’est l’opportunité de créer des liens à partir de ces objets. C’est certainement, en partie, l’enthousiasme généré par la réception de l’histoire qui fit que naquît une saison 2, puis une saison 3, suivie d’une saison 4 et finalement, d’une saison 5. Alors que dans la saison 1, Clara réalise ce que l’on pourrait appeler un inventaire de la cave. Dans la saison 2 , elle se rend aussi dans le « réel ». Elle quitte cet imaginaire créé dans la cave pour le confronter à la réalité, en rencontrant des personnes qui ont connu Madeleine. La première rencontre s’est faite par hasard lors de la saison 1 : devant l’ascenseur, Clara a croisé Marc, son voisin, qui avait reconnue Madeleine. La journaliste est restée en attente : qu’en pense-t-il, lui qui a connu Madeleine ? Lorsque le mot « délicat » fut prononcé – « il trouvait cela délicat » –, ce fut un soulagement. Comme une première approbation de la démarche qu’elle menait.Et je me trouve folle, un peu, de penser autant à toi, qui ne connaissait pas même mon existence #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 10 février 2016
Il trouvait que ça lui redonnait vie. Eux ne l'avaient pas connu "avant". Avant quoi ? "Avant qu'elle soit une vieille dame de 90 ans"
— clara beaudoux (@clarabdx) 9 février 2016
Ainsi de suite, des rencontres s’organisent. Parfois, il s’agit seulement de tentatives : le coiffeur où elle allait n’existe plus et la patronne ne se souvient pas de Madeleine. D’autres voisins lui décrivent Madeleine, son caractère, ses habitudes… mais aussi ses craintes à la fin de sa vie. Ils recherchent, pour l’occasion, les cadeaux que Madeleine leur avait offerts.Il est content d'avoir vu ses sourires dans la saison 1 #Madeleineproject https://t.co/S8CI0Sz8xK
— clara beaudoux (@clarabdx) 9 février 2016
Ils me montrent ce livre, ces torchons, ces couverts à poisson #Madeleineproject pic.twitter.com/njyFFj6wps
— clara beaudoux (@clarabdx) 10 février 2016
Puis dans la bibliothèque, ils cherchent longtemps, avant de retrouver ces deux livres offerts par Madeleine pic.twitter.com/nPc07eiMns
— clara beaudoux (@clarabdx) 10 février 2016
Le parcours se termine par le filleul de Madeleine. Clara ne l’avait plus contacté. Il a fallu plus de temps pour qu’elle « ose ».Finalement ça ne s'est pas fait, mais elle prenait des nouvelles, "une fois elle leur a offert un petit Larousse" pic.twitter.com/WiHYwhXh8X
— clara beaudoux (@clarabdx) 11 février 2016
Je finis par l'avoir. Il n'a entendu parler de rien. Mais l'idée lui plaît #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 12 février 2016
Après avoir lu la saison 1, il me dira : "c'est poétique", "j'ai même appris des choses" #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 12 février 2016
Cette rencontre, c’est l’occasion d’en apprendre plus. Il répond à toutes les questions que Clara se pose. Il apporte même un nouveau regard sur des objets qu’elle a trouvé dans la cave. Par exemple, il explique que la mère de Madeleine tenait une mercerie et que son père était professeur dans l’enseignement technique. Ainsi, le sachet rempli de boutons et de tissus, les compas et les dessins trouvés prennent une signification particulière.Après avoir lu la saison 1, il me dira : "c'est poétique", "j'ai même appris des choses" #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 12 février 2016
D’autres traits de son caractère se tracent :Ces compas étaient donc peut-être ceux de ton père #Madeleineproject pic.twitter.com/uwgOfJP2rg
— clara beaudoux (@clarabdx) 12 février 2016
L'été, oui, elle partait seule en Normandie, c'était une femme "très très indépendante" dit le filleul #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 12 février 2016
Il indique aussi les lieux où Madeleine a enseigné. Là où se trouve la maison de campagne des parents de Madeleine. Avec un petit schéma pour la trouver."Elle avait un sale caractère" ajoute-il quand même "elle n'admettait pas la contradiction, mais le pire c'est qu'elle avait souvent raison"
— clara beaudoux (@clarabdx) 12 février 2016
Le filleul se souvient aussi des plats de la mère de Madeleine, à Montceaux, "aujourd'hui encore des odeurs m'y ramènent tout de suite"...
— clara beaudoux (@clarabdx) 12 février 2016
Dans cette saison 2, Clara mélange ses outils de journalistes et les objets de cette cave.Le filleul se souvient des grands amis hollandais de Madeleine, ils étaient "des correspondants" à ses parents et à elle #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 12 février 2016
Après ces deux saisons, Clara est souvent contactée pour des projets de romans, de films. L’histoire de Madeleine intéresse. Néanmoins, les propositions ne rejoignent pas la démarche de la journaliste : elle souhaite continuer sur Twitter et ne pas romancer son histoire. Mais elle accepte la proposition des Editions du sous-sol (coïncidence ?), car leur ligne éditoriale est tournée vers le journalisme narratif, subjectif, qui permet au journaliste d’être intégré à son histoire. Ceux-ci font la proposition d’imprimer sur le papier tous les Tweets. Il n’y a donc pas de réécriture. C’est aussi une manière de garder une trace de cette démarche, car les réseaux sociaux sont immatériels : on ne sait pas prédire leur avenir. Les imprimer, c’est donc une manière de garder la mémoire d’un projet qui est justement sur la mémoire, de l’ancrer à quelque chose de matériel. C’est aussi une manière de le rendre accessible à des personnes qui n’ont pas Twitter et de toucher un autre public. Le livre relate donc cette saison 1 et 2. Mais en parallèle, l’enquête de la jeune femme continue. Elle recherche d’autres informations, d’autres lieux, d’autres éclaircissements… Et se prépare à les raconter. Même si des mois s’écoulent parfois entre les saisons et qu’elles ne sont plus vraiment « en direct », la reporter veut garder cette forme, car c’est un projet en cours de construction. Elle ne sait pas jusqu’où il va aller. Ce sont même parfois les internautes qui lui donnent des informations, qui orientent ses recherches. C’est un projet en train de se réaliser et Twitter est le support idéal pour cette histoire « en cours ». C’est ainsi que le 27 juin 2016, commence la saison 3 . Dans cette partie, Clara nous raconte la suite de son enquête. Elle relate les différentes orientations de ses recherches.Et puis je me retrouve un peu étourdie, par tant de réalité #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 12 février 2016
Une partie de cette enquête n’a pas été menée seule. Car après avoir posté en novembre que Madeleine avait enseigné à l’école Jean Macé à Aubervilliers, Clara est contactée par deux enseignantes de cette école. Elles aimeraient travailler avec leur classe de CM2 sur l’histoire de Madeleine, en collaboration avec la reporter. Ils étudient justement la trace historique et les outils numériques sont au programme. C’est ainsi que naît une nouvelle ramification du Madeleine Project : une collaboration. Tout d’abord, les enfants se sont plongés dans les saisons précédentes sur Twitter. Ils rencontrent ensuite Clara et lui pose des questions :J'ai choisi des fragments, que j'ai essayé de remettre dans l'ordre, comme un drôle de puzzle #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
"Est-ce qu'elle était asthmatique ?" "Est-ce qu'elle était fille unique ?" #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
"Est-ce que Madeleine avait un animal de compagnie ?" "Est-ce qu'elle a collaboré avec les nazis ?" #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
"Est-ce que vous avez vu si les élèves jouaient au foot ?" #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
"Est-ce que Loulou a été déporté ou bien il a été à la guerre ?" #Madeleineproject Réponse ces prochains jours :)
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
"Est-ce que si Madeleine a fait une faute d'orthographe vous allez la publier ?" #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
"Ca ne vous fait pas bizarre de toucher des photos qu'elle avait touchées ?", alors que les objets de la cave circulent dans la classe
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
"Sur la photo de classe, pourquoi il n'y avait pas d'enfant avec la peau noire ?" #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
"Vous ne vous dites pas que chez vous elle a laissé quelque chose derrière les murs, comme dans les films, genre dans votre salle de bain ?"
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
Après ce premier échange, ils se sont accordés ensemble sur une mission : trouver un ancien élève de Madeleine. Spontanément, certains élèves vont parler à des personnes âgées de leur immeuble, de leur quartier. En classe, un questionnaire est mis en place pour faciliter les entrevues. Ils ont aussi l’occasion de poser des questions à la journaliste sur comment mener une interview.Et j'avoue que ce jour-là, en rentrant chez moi, je suis allée vérifier les carreaux de ma salle de bain... #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
"Et si on est trop timide ?" "Et si parfois les personnes âgées elles décrochent ?" "Et si ils sont émus, qu'ils pleurent ?"
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
"Est-ce qu'on peut amener des cookies, des gâteaux, des chocolats, pour que les gens répondent à nos questions ?"
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
A leur tour, ils partagent leurs recherches et leurs avancées sur Twitter : https://twitter.com/cm2aJeanMace Ils racontent aussi à Clara leurs aventures :"Comment se comporter quand on frappe à la porte des gens pour leur poser des questions ?"
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
Igor dit qu'il est devenu presque "meilleur ami" avec son voisin, 89 ans, qui était bien dans cette école, mais avec une autre maîtresse
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
Pauline s'est rendue dans un "centre de loisirs pour personnes âgées" "ils font que jouer à saute mouton, heu non, à la belote"
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
"La dame m'a dit que si je voulais parler avec eux, il fallait que je joue avec eux" #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
Yassine a interviewé un voisin de 92 ans, et en a encore beaucoup à interroger
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
Comme Madeleine a enseigné de 1944 à 1947 à Aubervilliers, il y a énormément de questions sur la Seconde Guerre Mondiale. Ils ont alors l’occasion de rencontrer un historien de la ville, Jacques Dessain, qui a justement été élève et même directeur de cette école. Les enfants lui posent beaucoup de questions : à quoi ressemblait l’école ? Le quartier ? Les jeux de l’époque ? Avaient-ils peur des bombes ? Quelles étaient les difficultés de la guerre ? Après l’entretien, Clara en profite pour lui demander s’il a connu Madeleine. Il avait malheureusement déjà quitté l’école.Ismaïl a posé des questions à quelqu'un qui lui a parlé d'une association d'anciens combattants
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
Les évènements se suivent : une visite des archives est organisée en compagnie de l’historien, ils correspondent avec un ancien élève de l’école qu’ils appellent « Monsieur Papi ». Ce projet, les élèves l’ont continué toute l’année. Pour leurs institutrices, même s’ils ne trouvent pas d’anciens élèves, c’est une réussite.Il ajoute que ses sœurs ont peut-être connu Madeleine, mais il n'en reste qu'une seule en vie, et elle perd la mémoire...
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
Leur maîtresse me dit que ce projet a transformé leur année, "dans pratiquement toutes les matières" #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
"Ils ont découvert l'Histoire", de manière "incarnée", "on a vécu l'Histoire", explique-t-elle
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
"Ils ont découvert l'Histoire", de manière "incarnée", "on a vécu l'Histoire", explique-t-elle
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
Le projet a "accroché" les enfants, "j'ai des élèves qui ont plaisir à venir à l'école, déjà c'est énorme"
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
Et certains, un peu en échec à l'écrit, se retrouvent soudain "moteurs", "parce qu'ils ont le bagou" pour les itw https://t.co/fFu7iTjkWb
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
Parallèlement à cette rencontre, la jeune femme continue ses recherches. Elle se rend dans les lieux où Madeleine a vécu :Bref, j'ose penser que ce travail avec eux t'aurait plu, que tu l'aurais trouvé utile. J'y trouve moi beaucoup de sens #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 27 juin 2016
Je t'imagine courir sur ce trottoir, petite fille #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 28 juin 2016
De plus, elle se rend à « L’atelier de Célestin » qui répare les projecteurs de films. Ils visionnent ainsi un film laissé dans la cave de Madeleine. Déception pour Clara, Madeleine n’y apparait pas. Elle espérait la voir s’animer. Mais peut-être filmait-elle ? Qui le saura ? A l’époque, la mise au point était manuelle et il n’y avait pas de montage : pour filmer, il fallait bien connaitre la caméra et la plupart des cinéastes-amateur étaient des hommes. Mais le doute est permis, quand Clara tombe sur un reçu pour l’achat d’une caméra d’occasion et par la suite, sur une photo : on y voit Madeleine ainsi qu’une dame qui apparait dans le film. A l’arrière de la photo, est inscrite une date : 1953. Peut-être la date du film. Dans une lettre, un ami évoque aussi l’envie de voir tous ses films. Peut-être Madeleine filmait-elle… Ensuite, vient le temps de réouvrir la valise de Loulou. Si précieuse, imagine-t-on, aux yeux de Madeleine.Je profite d'ouvriers travaillant dans l'immeuble, pour aller jeter un œil dans la cour #Madeleineproject pic.twitter.com/0hWUz4WBnX
— clara beaudoux (@clarabdx) 28 juin 2016
Je classe par années, et je note les mois où il y a des lettres. Je comprends que ceux où il n'y en a pas, c'est que vous êtes ensemble
— clara beaudoux (@clarabdx) 29 juin 2016
Cette lecture apprend de petites choses : d’où viennent tous ces livres dans la cave de Madeleine, pourquoi tous les timbres sont retirés des enveloppes, que Loulou réalisait des reliures, que Madeleine s’était remise à l’aquarelle… le tout, sur fond d’une guerre qui se prépare et qui fatalement éclate. Jusqu’à la dernière lettre… Le mystère à éclaircir, la raison de la disparition de Loulou. S’en suit une nouvelle plongée dans les archives pour retrouver la fiche militaire de Loulou. Il a été réformé. La raison : tuberculose pulmonaire. Le mystère est levé. A côté de cela, une case demeure vide : « Surnoms ». Pour Clara, il est clair que c’est… Loulou ! Ensuite, un signalement : « Cheveux : châtain foncé, front : moyen, nez : droit, visage : ovale, taille : 1m78, dégré d'instruction : 4 ». Peut-être est-ce bien lui alors sur ces photos ?Ce que j'ai ici, ce sont donc vos absences de l'un à l'autre, forcément, ces morceaux de papier qui viennent combler les vides
— clara beaudoux (@clarabdx) 29 juin 2016
Ce document contient bien d'autres informations. Une place est laissée vide : celle du "surnom" #Madeleineproject pic.twitter.com/7cXjPrPozS
— clara beaudoux (@clarabdx) 30 juin 2016
Ben si, il en a un, j'ai envie de crier "LOULOU" #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 30 juin 2016
Cheveux : châtain foncé, front : moyen, nez : droit, visage : ovale, taille : 1m78, dégré d'instruction : 4 pic.twitter.com/CL08zyIADg
— clara beaudoux (@clarabdx) 30 juin 2016
Pour Clara, c’est l’impression d’être arrivée au bout du « chemin ». Il ne restait plus qu’un pèlerinage : Montceaux-les-Meaux. Là où était la maison de campagne des parents de Madeleine. Là où Madeleine et Loulou se sont rencontrés en vacances. Là où Loulou a passé sa convalescence. Accompagnée des agendas de Loulou, que Madeleine avait conservés et qui recèlent pleins d’évènements de la vie de celui-ci, Clara marche sur ses traces. Elle recherche les lieux sur les photos. Elle rencontre des habitants et surtout Jeanne, bientôt 90 ans, qui a toujours vécu dans le village. Celle-ci se souvient de Madeleine : leurs pères jouaient aux cartes dehors ; ils étaient gentils ; Madeleine fréquentait Loulou ; ils devaient se marier… Ensuite, Clara rencontre avec Odette, 86 ans, qui se souvient aussi d’eux : ils venaient l’été ; ils habitaient Paris ; « "Ils devaient se marier, et puis il a été tuberculeux et il est décédé tout jeune" » ; « Odette répète plusieurs fois "Il était costaud pourtant..." » . Toutes les réponses étaient là aussi et pas seulement dans les archives. Comme tout pèlerinage, il se termine par un passage sur la tombe de Loulou.Bon, est-ce que ça lui ressemble bien alors ? #Madeleineproject pic.twitter.com/YXkdAxEMep
— clara beaudoux (@clarabdx) 30 juin 2016
Moi, face à la tombe de Loulou, cette pierre au nom effacé par le temps, je ne sais que faire. Je revois les "quoi de neuf", les "because"
— clara beaudoux (@clarabdx) 1 juillet 2016
Je remets quelques pots en place, je me demande quand tu étais venue pour la dernière fois #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 1 juillet 2016
Je me dis "ça va loin". Je me dis qu'il faut que j'arrête de parler aux morts, qu'il faut rentrer chez moi maintenant #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 1 juillet 2016
Entre la saison 3 et la saison 4 , 10 mois se sont écoulés. Les recherches ont été plus longues, il a fallu faire preuve de patience. Il y a d’abord eu la possibilité de consulter le dossier d’institutrice de Madeleine. Au fil des pages, de petites informations : sa carrière s’est terminée en 1970 ; un commentaire de recrutement « bien, très sérieuse, intelligente, fera une bonne institutrice » ; un extrait de son casier judiciaire ; un certificat médical ; un avis de la direction de l’enseignement primaire : « très simple, très docile. D’excellente éducation » ; carnet de ses remplacements au début de sa carrière ; des rapports d’inspections ; etc. Ensuite, Clara visite l’école où Madeleine a fait la plus grande partie de sa carrière. L’école est en travaux mais Clara parvient quand même à accéder aux dossiers restants : un registre de « conseils des maîtres » de 1894 à 1969. Chaque début d’année le conseil discute des devoirs, des répartitions des classes… Le nom de Madeleine s’y trouve. Un autre nom connu apparait : Bernard, avec qui Madeleine a vécu quelques temps."Rien de neuf au village" #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 1 juillet 2016
Encore une fois, les histoires s’entremêlent :J'imagine leurs discussions, dans cette même cour, c'est donc là qu'ils se sont rencontrés, peut-être là qu'ils sont tombés amoureux ! pic.twitter.com/3iq5hhfERW
— clara beaudoux (@clarabdx) 10 avril 2017
Après cette confirmation que Madeleine a enseigné dans l’école, Clara fait une nouvelle tentative pour retrouver d’anciens élèves de Madeleine. Elle essaie des affichettes. Elle va voir les commerçants du quartier… mais celui-ci a bien changé. Elle se rend aux archives pour consulter la liste des élèves passés par l’école et tente sa dernière solution : rechercher les noms dans les pages blanches. Beaucoup d’échecs mais de temps en temps, un élève de l’école. Après, encore faut-il s’en souvenir, ou avoir eu Madeleine comme maitresse.Et je pense à ces plaques devant l'école pic.twitter.com/KB4LGiJm2p
— clara beaudoux (@clarabdx) 10 avril 2017
Finalement, début janvier, je me dis que je ne peux plus reculer : je cherche les noms dans les pages blanches, et j'appelle par téléphone pic.twitter.com/9tpsAHGSdD
— clara beaudoux (@clarabdx) 11 avril 2017
"Allo oui bonjour, je cherche à joindre Jacques C ?" "C'est vous, et bien je cherche un Jacques C qui était à l'école dans le 18ème à Paris"
— clara beaudoux (@clarabdx) 11 avril 2017
Commence alors une succession de soirées et de week-ends du même genre... A faire irruption dans des vies au quatre coins du pays
— clara beaudoux (@clarabdx) 11 avril 2017
J'en retrouve plusieurs : à chaque fois ils disent "oui c'est moi" mais ne se rappellent pas de leur institutrice de CP #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 11 avril 2017
Paul en Indre et Loire se souvient d'"une personne très attentive aux enfants", mais comment être sûre qu'il s'agit de Madeleine ?
— clara beaudoux (@clarabdx) 11 avril 2017
Alain, lui, se souvient d'une "maîtresse blonde"...
— clara beaudoux (@clarabdx) 11 avril 2017
Guy en Seine-et-Marne me dit qu'il n'est pas resté longtemps dans l'école, "beaucoup passaient et ne restaient pas" ajoute-t-il...
— clara beaudoux (@clarabdx) 11 avril 2017
Guy se souvient qu'il a fait là des cours de théâtre, "j'étais le chef de gare", mais aucun souvenir de Madeleine
— clara beaudoux (@clarabdx) 11 avril 2017
En appelant une centaine de numéros, je retrouve 11 anciens élèves de cette école. Mais personne ne se souvient de Madeleine...
— clara beaudoux (@clarabdx) 11 avril 2017
Une nouvelle piste intervient avec la possibilité de consulter le registre plus récent des élèves. Après d’autres essais infructueux, elle tombe sur William, qui dit le nom de Madeleine : "Si je me rappelle du nom c'est qu'elle m'a quand même marqué" , "Une femme gentille avec les gamins", "Je pense qu'elle aimait son métier". Il se souvient d’autres camarades, dont l’un, Christophe, est traducteur et vit en Hollande. Christophe se souvient : « Puis il enchaîne direct : "Oh vous savez je l'ai détestée ! Elle m'a fait copier 50 fois la rougeole et l'orangeade !" » C’est ainsi que de nouvelles rencontres et de nouvelles histoires se tissent sur le thème de cette école, de ces années d’enseignements. Des petits portraits, à partir des souvenirs de ces jeunes enfants à l’époque. Encore un tour dans les valises, les enveloppes, et Clara comprend qu’il y a beaucoup de documents qui concernent l’histoire paternelle avant d’emménager à Paris : l’histoire de Bourges. Il est fort probable que ce soient les grands-parents de Madeleine qui ont gardé toutes ces coupures de presses : lors de la naissance de Madeleine, celle de ses tantes ; quand oncle René a obtenu une mention très bien à son certificat d’instruction primaire ; etc. Il y a aussi une carte d’électeur du grand-père de Madeleine, un ticket pour le Grand palais en 1928… Pour clôturer cette saison, une dernière chose reste à accomplir : se rendre à Bourges, voir cette maison d’enfance, là où Madeleine est née. Mais le temps est passé et arrivé sur place, cette maison n’existe plus. Elle a été remplacée par un bâtiment abritant une compagnie d’assurance. Petite déception. En rentrant, la journaliste sent qu’elle arrive au bout de l’histoire. Elle atteint la fin de ce puzzle. La dernière étape importante est de se rendre en Hollande, pays d’une grande importance au regard des découvertes faites dans la cave. Bien-sûr, d’autres pistes sont laissées en suspens mais peut-être qu’un jour, une réponse apparaitra. En attendant, ce qui plait à Clara, ce sont les suites inattendues de ce projet, comme un professeur d’arts appliqués qui a fait un travail avec ses élèves autour du Madeleine Project. Saison 5 : Finalement, vient le temps de clôturer le projet avec cette saison finale. Il aurait été difficile de passer à côté de la Hollande, tant elle semblait occuper une place importante dans le cœur de Madeleine. Pour cette saison, Clara procède un peu différemment. Bien-sûr, elle postera toujours des tweets mais ceux-ci s’animeront, car elle décide de prendre la caméra, comme elle avait prévu de le faire avant cette rencontre et comme elle suppose que Madeleine le faisait. C’est donc accompagnée des photos de Madeleine et de sa caméra qu’elle se rend en Hollande, ayant préparé en avance les lieux où elle devrait se rendre. La première étape, c’est le village des correspondants de Madeleine. D’abord un peu inquiète, elle sonne une première fois. La seconde fois, elle rencontre Yvonne : elle est la femme du médecin qui a repris le cabinet après les correspondants de Madeleine. Ils ont vécu quelques années ensemble. « Elle reconnait presque tout le monde sur les photos : la fille ainée Nellie, ça c’est Madeleine avec Cora… ». Elle n’a jamais rencontré Madeleine. Mais elle connait très bien le village. Elle note les lieux derrière les photos et se prend au jeu. Elle lui montre les emplacements des photos, accompagnés des explications. Yvonne appelle aussi Nellie, la fille des correspondants. Quelques jours plus tard, c’est Clara qui reçoit, cette fois-ci, une lettre de la Hollande. « "Je connais votre adresse, j'ai mis pas mal de pas dans votre appartement." », « "Ma mère a été la correspondante de Madeleine depuis la première année de l'enseignement secondaire." », « Nellie termine sa lettre : "Je vais vous quitter ici. Je n'ai pas une cave, mais un grenier avec pas mal de cartons remplis de photos de famille" », « "Il y a des recherches à faire. Vous serez toujours la bienvenue chez moi." ».Et moi j'ai l'impression de toucher aux limites de la mémoire... De tomber juste sur le point où les choses s'effacent pic.twitter.com/jvoFPksLCL
— clara beaudoux (@clarabdx) 11 avril 2017
Quelques jours plus tard, dans ma boîte aux lettres, un courrier de Hollande #Madeleineproject pic.twitter.com/z0Y6ZecX32
— clara beaudoux (@clarabdx) 22 novembre 2017
C'est Nellie. Cette fois c'est à moi qu'elle écrit
— clara beaudoux (@clarabdx) 22 novembre 2017
"Je connais votre adresse, j'ai mis pas mal de pas dans votre appartement."
— clara beaudoux (@clarabdx) 22 novembre 2017
Elle me dit qu'elle est l'aînée des enfants de tes correspondants #Madeleineproject
— clara beaudoux (@clarabdx) 22 novembre 2017
"Ma mère a été la correspondante de Madeleine depuis la première année de l'enseignement secondaire."
— clara beaudoux (@clarabdx) 22 novembre 2017
"Son prof de français avant demandé dans sa classe si quelqu'un aimerait correspondre avec une fille française"
— clara beaudoux (@clarabdx) 22 novembre 2017
"et elle a levé le doigt."
— clara beaudoux (@clarabdx) 22 novembre 2017
Nellie termine sa lettre : "Je vais vous quitter ici. Je n'ai pas une cave, mais un grenier avec pas mal de cartons remplis de photos de famille"
— clara beaudoux (@clarabdx) 22 novembre 2017
Un rendez-vous est pris quelques temps après. Lors de cette visite, ce n’est pas seulement sur Madeleine qu’elle en apprend plus, mais sur la relation de Madeleine à cette famille : « Toute ma vie j’ai connu Madeleine, c’est la seule au monde qui m’a connu dès ma naissance ». « Ça c’est maman, ça c’est Madeleine avec Cora ma sœur, qui n’est plus là, Cora elle est mignonne là, … », « Maman elle fait du patin à glace »,... « Je réalise que les photos de ma cave sont en fait ses photos de famille » : C’est aussi l’occasion de l’interroger sur ce qu’elle croit que Madeleine aurait pensé du projet. Selon elle, Madeleine aurait aimé que quelqu’un cherche dans sa vie. Nellie parle aussi de leurs visites à Paris, des restaurants où ils allaient manger. Ensuite, c’est le tour de son frère Quintus, qui, selon Nellie, a une très bonne mémoire et a le mieux connu Madeleine. C’est le cinquième, le dernier de la famille. Il découvre le projet par sa sœur et écrit à Clara (par Facebook) : « C’est avec grande émotion que je viens de lire le début de votre Madeleine Projet, description de la vie et des temps de ma chère tante Madeleine ». Lors de leur rencontre, il parle de l’importance de cette tante Madeleine pour lui : une personne sensible, qui prenait le temps, qui rigolait, qui donnait, à leur vie, un quelque chose d’exotique, pense-t-il. Il ajoute de nouveaux détails : la bague qu’elle portait, le colis qu’elle envoyait à chaque Saint-Nicolas, qu’elle venait toujours en voiture dans sa Renaud 4. Il se souvient de ses mains sur le volant, ses ongles laqués. Toujours tirée. Sa maman disait : « les parisiennes sont petites, droites et toujours impeccable habillée » . Il avait retrouvé, il y a quelques temps, une eau de toilette qu’elle lui avait offerte en 1989 ; il n’avait pu la jeter… Il est ému quand il raconte tout cela. Pour lui, tante Madeleine était une présence dans sa vie et il pense encore à elle aujourd’hui avec beaucoup de joie. Il l’a vue une dernière fois à Paris, deux ans avant sa mort. Nellie a, pour la dernière fois, vu Madeleine à l’hôpital, quelques jours avant sa mort. En quelques minutes, Nellie déroule les années manquantes. Jusqu’à une photo de Madeleine, en couleur, où sur son visage, les années se sont écoulées. Clara pensait que ces recherches en Hollande allaient être insurmontables : tellement de lieux, tellement de possibilités. Finalement, tout cela s’est très vite mis en place. Comme si la réalité reprenait place. Ce voyage devait compléter le portrait de Madeleine et il lui a donné la fin la plus totale. En partant de ces objets, de ces lieux dont Clara a l’impression que Madeleine lui a parlé tant de fois, elle rencontre des personnes qui tenaient à Madeleine, qui se souviennent d’elle. Clara a écrit lors de la saison 3 : « Les objets sont des liens entre les gens, à travers le temps » . Et cela se vérifie dans toutes les saisons. Que ce soit par ces élèves de CM2 d’Aubervilliers qui mènent leur enquête dans le passé. Que ce soit par ces étudiants d’arts plastiques qui créent des projets par rapport à Madeleine. Que ce soit par Clara qui connait maintenant ses voisins ou qui rencontre les proches de Madeleine qui lui font découvrir la Hollande et ses spécialités culinaires. Que ce soit la rencontre de Clara et de Madeleine, ou les personnes qui ont rejoint l’aventure et se sont mises à leur tour à s’imaginer cette parfaite inconnue, ou toutes ces personnes qui liront et qui s’approprieront toute l’histoire ou un extrait au hasard. Ce projet crée des liens. On a abordé le pourquoi de Twitter, le but de ce récit en direct, ces différentes étapes. On peut remarquer aussi l’importance de la diffusion. Les souvenirs de Madeleine se mélangent à ceux de ses correspondants ; les enfants de ceux-ci les partagent à Clara qui nous les partage. La mémoire peut s’oublier, faire défaut, changer, différer d’une personne à l’autre, disparaitre à jamais. Mais en attendant, elle se partage et elle s’imagine. De cette lecture, chacun gardera un bout de mémoire. On verra ce que chacun en fera. Peut-être qu’un jour, finalement, tout cela tombera dans l’oubli. Mais en attendant, elle vit dans les mémoires de toutes ces personnes qui ont participés au projet, qui ont lu, qui se sont souvenus… Ces souvenirs rejoignent la vie. 1000 questions Bien-sûr, en lisant ce texte, pendant, avant ou après, viennent les questions éthiques. A-t-on le droit de dévoiler la vie d’une inconnue, sans qu’elle ait pu donner son accord ? Où est le respect de sa vie privée ? Le droit à l’oubli ? Ces questions brûlantes sont peut-être à jamais sans réponse : la principale intéressée ne peut plus donner son avis, n’étant plus de ce monde. Nous ne pouvons dès lors que proposer des pistes de réponses. Ces questions, Clara les a posées dès le début du projet et elles l’ont beaucoup inquiétée. Dès la saison 1, elle prend la décision de ne jamais dévoiler le nom de famille de Madeleine ou de toute autre personne dans l’histoire. Elle s’accorde aussi le rôle de filtre. Il y a beaucoup de choses qui ne seront jamais dévoilées. Trop privées, intimes. Le projet a aussi un but historique. Clara se dit que ce n’est pas simplement le portrait d’une femme, c’est aussi celui d’une femme qui a parcouru tout le 20ème siècle, qui a archivé beaucoup de documents, dont, par exemple, la carte de vote de sa maman en 1945, année où le droit de vote est accordé aux femmes, la carte CGT de son père, des coupons de rationnement pendant la guerre… Tout ça, en plus d’être des témoignages de la vie de Madeleine, ce sont aussi des témoignages d’histoire. Comme celle qu’on apprend dans les livres. De là vient aussi l’intérêt de rendre ces témoignages publics, de faire vivre cette histoire. Il y a aussi toute une validation qui se fait par les proches de Madeleine : d’abord ses voisins, ensuite son filleul. Que ces personnes qui ont connues Madeleine apprécie le projet, le trouve respectueux, cela sonne comme un aval. Alors, il est vrai que quand Clara cherche à consulter le dossier d’institutrice de Madeleine, elle se frotte au délai de communication de la vie privée : celui-ci ne serait consultable que vers 2030. Même chose pour les registres des élèves. Mais elle obtient à chaque fois une dérogation. Ne serait-ce alors qu’une question de temps ? Ou de circonstances? Pourtant en refermant cette chemise rose, en la replaçant dans sa boite, elle se demande si un jour, ce dossier sera de nouveau consulté. La meilleure réponse est certainement celle que l’on voit se dessiner dans le projet et qui le clôture. Le projet débute avec ces objets inanimés dans cette cave. Ces objets oubliés que personne ne souhaite et qui laissent l’image d’une femme seule. Au fur et à mesure, ces objets dévoilent une histoire supplémentaire, par rapport au contexte historique, aux recherches, aux archives, aux histoires que les personnes qui ont connu Madeleine racontent. Au fur et à mesure, on quitte les objets de cette cave, lieu d’imagination, pour les confronter à la réalité. Le projet n’est pas de reconstituer minutieusement la vie d’une personne, mais de voir la vie, les traces, les souvenirs et l’appropriation que chacun en fait. D’autant plus que les dernières personnes que Clara rencontre, les enfants de sa correspondante, lui tracent un autre portrait. « Madeleine n’est plus la vieille femme morte seule dans son appartement. Elle n’était pas oubliée, elle continuait à vivre dans leur cœur et dans leur mémoire. » Conslusion Ces images que Madeleine avait dans sa cave n’étaient pas que les siennes. C’étaient celles que son amie et correspondante lui avaient envoyées. « Sans doute comme des petites fenêtres sur leur vie » , dit son fils. Ces images n’appartenaient pas qu’à Madeleine ; elles n’avaient pas qu’un propriétaire. Au contraire, c’est l’histoire de cette famille, de leur souvenir commun, des souvenirs qui restent. Clara consulte ces photos avec ces personnes qui « [lisent] et [regardent] toutes les lettres avec plaisir : c’est peut-être juste cela le but de tout ça ». Le but du projet n’était pas de reconstituer toute la vie de Madeleine : beaucoup de zones d’ombres resteront et doivent rester par respect pour Madeleine. Mais ce projet permet que ces souvenirs soient animés, qu’ils vivent encore, que l’on se les approprie. C’est la fin de ce projet, qui, en fait, continuera sans cesse peut-être dans la mémoire de Clara, de ses élèves de CM2, de tout lecteur… Que l’on repense à un être aimé perdu en voyant Loulou, que l’on s’imagine une vie aussi longue que Madeleine, comme Nellie le dit, que l’on se revoit vider son grenier…, tout cela est une manière de faire vivre un petit peu cette histoire et la nôtre. "Gardons seulement le souvenir des bons moments que nous venons de passer ensemble, et espérons que nous en aurons d'autres" Avec ce récit, c’est tout le projet mené par Clara qui se dévoile, avec, j’espère, les réponses aux interrogations que l’on pourrait se poser. Epilogue Une fois de plus, nous pouvons compléter la citation déjà intervenue précédemment : « Quand nulle parole ne vient plus donner sens aux clichés et leur rendre vie, elles ne « disent » plus rien, sauf pour quelques sociologues, historiens ou photographes qui viendront s’y alimenter et substituer à un discours familial un discours scientifique. »3 Une nouvelle fois, un autre type de discours subsiste. Ce discours qu’on entrevoyait déjà précédemment et qui nous montrait que des sentiments, un attachement, pouvaient se tisser, est ici amplifié dans la relation qui se crée entre Clara et Madeleine."Il y a des recherches à faire. Vous serez toujours la bienvenue chez moi."
— clara beaudoux (@clarabdx) 22 novembre 2017
[1]. Librairie Mollat. « Clara Beaudoux – Madeleine Project », Youtube, 29 mai 2016, [en ligne], https://www.youtube.com/watch?v=V7IbiqxcQDw
[2]. Fabrice Flahutez, Itzhak Goldberg et Panayota Volti, « visage et portrait, visage ou portrait »,Presses universitaires de Paris Nanterre, 2010, publié sur OpenEdition Books le 20 décembre 2012, 191 p., [en ligne], https://books.openedition.org/pupo/936 (page consultée le 10 octobre 2018).
[3]. Jonas, Irène. « La photographie de famille au temps du numérique. » Enfances, Familles, Générations, numéro 7, automne 2007, [en ligne], https://www.erudit.org/fr/revues/efg/2007-n7-efg2110/017789ar/